Lieu : plage d’Awala Yalimapo, village amérindien Kali-Na. Guyane.
Temps : samedi 16 avril 2022, 23h00.
Premiere apparition
Au loin, on voit des silhouettes assemblées près d’une masse sombre au sol dont le nombre nous laisse penser que nous ne sommes pas le seul groupe. On arrive à la hauteur des autres, face à un groupe encerclant une tortue, lampe frontale dans sa tête. Comportement très peu respectueux et stressant pour la tortue, on est un peu dégoutés, on se dit qu’on est cons d’aller observer la nature comme ça, pas envie d’être des touristes comme les autres, et l’on en est malgré nous. Cela nous montre l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. On regarde de loin et rentrons, on sera plus seul dans quelques heures. Avec Cass on dessine des fausses traces de tortue entre des souches de palmier et la mer, afin de créer de parfaits leurres pour les passants suivant.
Seconde apparition
Tard, on se décide à repartir, cette fois vers l’extremité occidentale de la plage. On est seuls.
Seconde apparition, à une dizaine de mètres de nous, dans un premier temps sans bruit, ou du moins un bruit amorti par celui des vagues. La silhouette sombre semble s’extirper de l’océan, ou plutôt rentrer avec beaucoup d’effort dans un environnement difficile et peu adapté à elle. Créature tant à l’aise dans l’eau qui devient, subitement, si lourde et lente sur le sable. Prenant des risques dans un environnement qui l’épuise. En s’approchant on discerne les détails de sa carapace et ses membres adaptés à la nage qui l’aident tant bien que mal à progresser sur la vingtaine de mètre qui la sépare du bord de plage. Longue d’un bon mètre, la tache l’épuise, c’est une épreuve d’endurance : elle avance de trois pas (trois glissades ?) et respire un temps, étape par étape et arrive à son but. On fait au mieux pour la respecter : hors de son champ de vision, pas de lumière, en restant assez loin. La mer sombre, la solitude, la luminosité lunaire, le bruit des frottements de la carapace sur le sable et la vision de cet être massif et sans âge évoluant dans une dimension hostile contribuent à rendre l’ambiance mystique et un peu hors du temps. On croirait voir un dinosaure, un être formidable et puissant, d’une période reculé, bien avant que la marée de l’humanité ne recouvrît tout. Des êtres au formes dont seuls la poésie et les légendes peuvent capturer des souvenirs évanescents tels des êtres mythiques de toutes sortes, des monstres ou des dieux.
Puis une seconde apparait et une troisième a dix mètres d’elle. On se fait la réflexion que ces mères vont procréer d’autres individus femelle qui vont à leur tour pondre sur les mêmes plages, et qu’au milieu de toute ces tortues, il y a peut-être plusieurs générations qui se croisent. Des mères accouchant en même temps que leurs filles, sans le savoir, et vont donner naissance à des centaines de petites tortues qui ne connaitront jamais leurs parents mais qui, pour celles qui survivront, reviendront pondre en ces lieux. En tout cas la tâche n’est pas très égalitaire : les mâles pourraient au moins venir creuser un trou au préalable, répartition des taches pas folichonne chez les tortues vertes.
En les voyant creuser, haletantes, on les imagine fatiguées, en en voyant certaines désorientées on a envie de les aider, on a tendance à anthropiser leurs émotions mais les laissons faire : si elles avaient vraiment besoins d’aide ,l’évolution ne les aurait pas fait survivre jusqu’ici. Alors on profite respectueusement du moment.